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Isharabin Tchumisi

October 13th, 2020

L’histoire des enfants de la rue en RDC

1 comment | 79 shares

Estimated reading time: 3 minutes

Isharabin Tchumisi

October 13th, 2020

L’histoire des enfants de la rue en RDC

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Comme dans plusieurs villes de la RDC, ici à Goma, en marchant dans les rues, on peut voir des enfants de la rue employant différentes stratégies pour pouvoir survivre. Mais quelle est réellement l’histoire de ces enfants ? Ishara Tchumisi nous présente les causes et les conséquences du phénomène des enfants de la rue et les mesures que doit prendre le gouvernement national pour y remédier.

Ce blog fait partie du projet Idjwi, un projet qui résulte d’une retraite d’écriture organisée sur l’île d’Idjwi située au lac Kivu, en RDC. Au cours de cette retraite en novembre 2019, des chercheurs se sont réunis pour redéfinir et présenter leurs sujets de recherches.

Selon l’article 41 de la Constitution de la République Démocratique du Congo (RDC), « les pouvoirs publics ont l’obligation d’assurer la protection aux enfants en situation difficile ». Pourtant, dans la ville de Goma, de nombreux enfants se retrouvent sans domicile et sans aucune aide de la part du gouvernement. Certains de ces enfants se retrouvent à la rue après avoir été expulsés de leur maison tandis que d’autres ont volontairement décidé de quitter leur domicile familial. Quoi qu’il en soit, ils se battent tous pour survivre au quotidien dans les rues. Au vu de ce constat, j’appelle le gouvernement, les organisations nationales et internationales à se mobiliser pour offrir à ces enfants une protection et une éducation (scolarisation), afin que ces enfants puissent avoir une seconde chance : un avenir meilleur.

En tant que travailleur social, il m’arrive de marcher dans les rues de Goma. En passant dans la rue Alanine à Goma, près du marché, j’ai pu rencontrer les enfants de la rue et voir comment ces enfants sont souvent ignorés par notre société. C’est comme s’ils étaient invisibles. J’ai voulu comprendre ce qui se passait et pourquoi ils étaient laissés, là, dans la rue. Suite à mes échanges avec ces enfants, je présente ici deux témoignages qui me semblent représentatifs des principales raisons expliquant la présence de ces enfants de la rue, à Goma.

Les causes du phénomène des enfants de la rue à Goma

D’une part, certains enfants de la rue choisissent de quitter la maison familiale en raison des conflits présents dans leur foyer familial. J.K. est l’un de ces jeunes qui a fait le choix de quitter son domicile familial après une dispute avec son père :

« Mon père m’a frappé, car j’ai utilisé à mauvais escient, les dernières économies que lui et ma mère m’avaient donné pour que je puisse payer mes frais de scolarité. Je n’allais pas en cours. Après que mon père m’ait battu, j’étais en colère et j’ai décidé de partir, sans savoir où j’allais ».

D’autre part, certains enfants ont été expulsés par leurs parents. Souvent ces enfants sont accusés de sorcellerie, une des raisons d’expulsion les plus courantes à Goma. D’autres conflits émergent lorsqu’il y a une séparation ou un deuil et que les familles tentent de se reconstruire ; d’établir une harmonie entre le nouveau beau-parent et l’enfant, généralement entre une belle-mère et les enfants du précédent mariage.

R.S., une jeune âgée de 21 ans, nous raconte comment elle a été chassée par son père après qu’il se soit remarié avec une autre femme.

« En 2013, ma mère est décédée. Un an plus tard, mon père s’est remarié avec une autre femme. Il a alors commencé à dire que je voulais empoisonner ma belle-mère. Comme l’accusation fut confirmée par le cousin de mon père, celui-ci décida de me chasser. Tous les membres de ma famille ont refusé de m’aider, car ma belle-mère les avait déjà convaincus que j’étais une sorcière. »

Aussi, comme de nombreux parents avaient été tués pendant la guerre civile, certains enfants se sont également retrouvés orphelins, sans autre choix que celui de vivre dans la rue. Leurs parents décédés et sans soutien familial, ces enfants étaient incapables de prendre soin d’eux-mêmes et de leur foyer. Ces différentes raisons limitent sérieusement les options laissées aux enfants (y compris la possibilité de retourner dans leur foyer).

Les différentes stratégies de survie

Qu’il s’agisse d’un choix ou d’une expulsion, ces enfants de la rue n’ont d’autres choix que de trouver des stratégies de survie. D’abord, j’ai pu voir que certains des enfants de la rue essayaient de faire face à leurs besoins de manière pacifique notamment en proposant des services aux citoyens comme la vente de marchandises ; ou en s’engageant dans des travaux d’entretien dans les rues. Même si ces services sont informels, ils permettent à plusieurs enfants de pouvoir avoir de l’argent pour se nourrir et faire face aux potentielles difficultés. De plus, certains passants donnent à ces enfants un peu d’argent ; ce qui constitue une source supplémentaire de revenus.

J’ai également pu constater que les stratégies employées pour survivre n’étant pas toujours pacifiques. En effet, les enfants de la rue peuvent être violents et voler des passants dans les rues. Ils peuvent intimider une victime pour qu’elle ne résiste pas à l’agression. Par exemple, lorsqu’un membre du groupe est attaqué suite à un vol de passant, les autres membres du groupe courent l’aider. Ils feront de leur mieux pour sortir leur « frère » ou leur « sœur » d’une situation sans qu’il n’y ait de problème.

Ainsi, appartenir à un groupe devient une protection, mais compense également les carences affectives (besoin d’affection et d’amour). Le groupe devient une famille de substitution. C’est cette solidarité qui les aide à lutter contre la violence dont ils sont victimes en vivant dans la rue. En effet, les enfants de la rue sont aussi victimes de diverses formes d’abus : ils sont confrontés aux coups et insultes des commerçants, à la violence et au racket des policiers qui leur promet une protection, promesse finalement non tenue. La solidarité devient le meilleur moyen pour ces enfants de se protéger. Cependant, en essayant de se protéger de la violence, un cercle vicieux de violence se crée, car ces enfants finissent eux-mêmes par commettre des actes violents.

Malgré ces problèmes, ces enfants de la rue demeurent des enfants. Le fait de vivre dans la rue a inévitablement un impact négatif sur leur réussite et leur potentiel développement en tant qu’adultes. Les institutions semblent d’ailleurs oublier que les enfants d’aujourd’hui deviendront des adultes demain. Lorsque les familles et la communauté les abandonnent, ces enfants de la rue doivent être pris en charge par le gouvernement ou d’autres organisations nationales et internationales. Cet encadrement est un droit pour ces enfants.

Je ne saurais trop insister sur l’importance de l’éducation de ces enfants et sur l’impact positif de celle-ci sur leur intégration sociale et professionnelle. Malheureusement, ces enfants ne font pas toujours partie de l’agenda de l’État ; notamment, parce que les administrations locales sont débordées par la gestion des diverses crises économiques et politiques. Néanmoins, cela n’enlève pas la responsabilité morale et juridique qu’a le gouvernement de répondre à ces préoccupations sociales urgentes.

Laisser ce problème persister revient non seulement à violer les droits de ses enfants, mais aussi à laisser une porte ouverte à des violences encore plus importantes et perdre la contribution potentielle de ces enfants au développement économique du pays. Trouver une solution ne sera certainement pas facile et nécessitera la participation des diverses parties prenantes ; le gouvernement national, les administrations locales et les autres institutions ayant les capacités nécessaires pour s’impliquer. J’appelle ici, le gouvernement avec l’appui des ONG et des citoyens, à créer des centres où ces enfants pourraient vivre, manger et recevoir une éducation. Ces centres doivent néanmoins laisser aux enfants une certaine liberté pour éviter des conflits potentiels, tout en leurs donnant accès aux services sociaux de base.

Aujourd’hui, lorsque nous marchons dans ces rues de Goma, nous pourrions avoir une attention particulière pour ces enfants de la rue, les voir comme nos fils et nos filles faisant partie de l’espoir de notre nation ; de futurs adultes qui ont besoin de notre soutien.


The Idwji Writing Retreat was jointly funded by The Open University’s Strategic Research Area in International Development and Inclusive Innovation and the Centre for Public Authority and International Development (CPAID), LSE.

Photo: taken in DRC by Julien Harneis (CC BY-SA 2.0).

About the author

Ishara Tchumisi

Isharabin Tchumisi

Isharabin Tchumisi is a researcher at the Centre for Public Authority and International Development. His work focuses on water management, gender relations and how households are affected by prolonged shocks such as unemployment in Goma, the DRC. He is also training to become a pastor.

Posted In: Idjwi Series | Public Authority | Society

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