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Enrica Picco

July 2nd, 2019

Comment une politique d’inclusion pourrait aider les réfugiés musulmans d’Afrique centrale

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Estimated reading time: 10 minutes

Enrica Picco

July 2nd, 2019

Comment une politique d’inclusion pourrait aider les réfugiés musulmans d’Afrique centrale

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Quatre ans après le nettoyage ethnique systématique qui a poussé la communauté musulmane centrafricaine à se réfugier dans les pays voisins, Enrica Picco explore les défis auxquels sont confrontés les rapatriés.

Cet article fait partie de notre collection d’articles #LSEReturn, explorant les thèmes du déplacement et du retour des populations.

Au début de la crise actuelle en République centrafricaine (RCA), de la fin 2013 au début de 2014, un nettoyage ethnique systématique a été perpétré contre la communauté musulmane centrafricaine vivant dans la capitale Bangui et dans les provinces du sud et de l’ouest du pays. Plusieurs centaines de milliers de musulmans ont été forcés de fuir vers des pays voisins tels que le Cameroun ou le Tchad pour échapper à la mort ; d’autres sont restés piégés dans leurs propres villes, vivant dans des enclaves et protégés par les forces internationales. Les biens et propriétés qu’ils ont laissés ont été pillés, voire complètement détruits, pour les empêcher de revenir à l’avenir. Les maisons ont été vendues ou occupées par d’autres membres de la même communauté.

Peuhl women walking to their camp in the forest around Ndele (Bamingui-Bangoran), Central African Republic, 2015. Image Credit: Juan Carlos Tomasi

Après quatre ans de déplacement, les musulmans centrafricains sont-ils rentrés chez eux ? Quels sont les principaux défis auxquelles ils ont été confrontés après le retour ? Quelles sont les conditions qui pourraient rendre leur retour durable ? Telles sont les quelques réponses que je recherchais lors de mon voyage d’études à Bangui et dans la ville de Boar, dans l’ouest du pays, en août 2017. En 2014, j’ai vu des milliers de musulmans centrafricains embarqués dans des camions ou des avions dans des conditions extrêmement pénibles pour quitter le pays. Plus récemment, j’ai eu la chance de parler à ceux qui ont décidé de revenir chez eux.

Maisons endommagées et incendiées après les affrontements entre la Séléka et les anti-Balaka à Bouca (Ouham), République centrafricaine, 2013 Crédit photo : Juan Carlos Tomasi

En 2016, la République centrafricaine a connu un léger afflux de rapatriés, principalement en raison du développement pacifique du processus électoral, et de la mise en place de nouvelles autorités nationales légitimes. Les retours étaient spontanés, irréguliers et sporadiques. Le bureau du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a observé de nombreux mouvements pendulaires de la population qui tentaient d’évaluer la situation en RCA, avant de rentrer définitivement chez elles. En outre, les réfugiés ne sont pas nécessairement rentrés dans leur lieu d’origine, mais ils ont principalement évalué la stabilité générale dans la région, en raison de la présence d’agences humanitaires, de représentants de l’État et de troupes de maintien de la paix. Cependant, la reprise de la violence et des attaques fondées sur l’appartenance ethnique et l’identité a non seulement mis fin à cette tendance, mais a également conduit de nombreux rapatriés à retourner dans leur pays d’asile. Le nombre de personnes déplacées a atteint le chiffre record de 1,1 million de personnes [1].

Retour aux enclaves

Bien qu’il n’existe pas de chiffres officiels permettant de distinguer les rapatriés enregistrés par groupe ethnique, ou religieux, on estime généralement que seuls quelques-uns d’entre eux appartiennent aux communautés musulmanes, qui se sont enfuies au début du conflit. Sur la base des preuves réunies au cours de cette recherche, la grande majorité des rapatriés musulmans vivent actuellement dans des enclaves. Les raisons qui motivent leur retour dans les enclaves sont assez simples. Les musulmans sont encouragés à le faire par la solidarité traditionnelle au sein de leur propre communauté. De plus, les forces internationales peuvent facilement protéger les enclaves en cas de nouvelles attaques. Enfin, le retour dans les enclaves permet aux individus qui sont rentrés et ceux qui sont restés dans le pays – d’éviter de s’attaquer à des problèmes extrêmement sensibles, tels que les droits fonciers et patrimoniaux, et les réparations. Les enclaves pourraient donc devenir une zone tampon, où les problèmes sociaux et politiques qui ont déclenché le conflit sont confinés, mais les aborder avec des programmes de réconciliation n’est pas aussi convaincant que de fournir une assistance de base à la population qui y vit.

Maisons musulmanes abandonnées près du 3e district de Bangui, République centrafricaine, 2017. Crédit photo : Enrica Picco

De plus, le retour des communautés musulmanes dans des enclaves préexistantes, pourrait exacerber les problèmes traditionnellement liés au rapatriement tels que, l’accès au logement et aux moyens de subsistance. Ces préoccupations se sont déjà manifestées dans le quartier PK5 de Bangui, dans le 3e arrondissement de la capitale. Après l’attaque anti-Balaka de Bangui en décembre 2013, PK5 est devenu le refuge de la communauté musulmane de la capitale et la plus grande enclave du pays. Selon l’OCHA, la population du troisième district – environ 124 000 personnes avant la crise – a presque doublé au cours des trois dernières années pour atteindre 200 035 personnes en octobre 2017. Une enquête récente a révélé qu’il y avait 111 160 rapatriés, dont 29 981 étaient rentrés spontanément des pays voisins. D’après les rapatriés que j’ai rencontrés à PK5, le logement et l’approvisionnement en eau étaient leur première préoccupation à leur arrivée. La recherche d’opportunités économiques constituait la deuxième plus grande préoccupation des rapatriés, principalement en raison de la limitation de circulation causée par la présence d’Anti-Balaka, dans de nombreux autres quartiers de la capitale. Certains rapatriés n’ont jamais quitté PK5. Beaucoup ont déclaré qu’ils devaient changer leurs vêtements traditionnels musulmans, et porter un jean et un t-shirt pour aller en ville, tandis que les femmes devaient cacher leur voile dans leur sac à main.

Le rapatriement en tant qu’acte politique : de nouvelles bases pour l’inclusion

Le rapatriement des réfugiés n’a été inscrit à l’ordre du jour politique de la RCA qu’après les élections de 2016 : les questions liées au rapatriement n’ont été prises en compte que par les autorités nationales, et par la communauté internationale lorsque les retours des populations ont effectivement commencé. La stratégie nationale sur les solutions de retour durable élaborée en 2017, insiste à juste titre sur l’importance de la documentation civile, des droits fonciers et de propriété et de la justice pour un rapatriement durable, sans toutefois accorder une attention particulière au rapatriement des groupes minoritaires. Dans l’ensemble, comme dans d’autres interventions internationales, le document décrit le rapatriement comme un simple acte de retour, qui vise essentiellement à fournir une assistance de base aux rapatriés et à atténuer les problèmes éventuels. Cependant, le rapatriement comporte une dimension politique importante, qui implique la responsabilité de l’État d’éliminer les obstacles à la réintégration, et de créer les conditions d’un retour durable. Sans cette dimension politique, ce serait comme construire une maison sans avoir préalablement établi ses fondations.

L’heure des devoirs pour deux jeunes filles qui sont rentrées avec leurs familles dans le 3e district de Bangui, en République centrafricaine, 2017. Crédit image : Enrica Picco

Considérer le rapatriement comme un acte politique implique que, le retour en toute sécurité, et la réintégration des minorités musulmanes relèvent en premier lieu de la responsabilité de l’État. C’est l’État qui n’a pas réussi à protéger tous ses citoyens, c’est donc l’État qui doit prendre des mesures pour remédier à cette situation. En fait, les musulmans sont une minorité en RCA, représentant entre 10 et 15% de la population du pays. Dans un pays enclavé et rural, dirigé par une élite politique chrétienne du Sud, les musulmans – qui étaient principalement des commerçants, des professionnels de l’exploitation minière et des éleveurs de bétail – sont largement perçus comme des étrangers et souvent harcelés par la police, ou exclus de l’emploi dans la fonction publique. Les questions d’identité et de citoyenneté sont donc cruciales pour comprendre la dynamique du déplacement et du retour des populations. Que pourrait faire l’État centrafricain pour aider les réfugiés musulmans à rentrer chez eux ? Les recherches sur le terrain et les analyses comparatives semblent suggérer quelques recommandations politiques clés pour résoudre ce problème extrêmement complexe.

Les autorités centrafricaines devraient d’abord rétablir la confiance entre les citoyens et les institutions, et entre les citoyens appartenant à des communautés différentes. Les fondements de ce nouveau contrat social devraient être basés sur l’inclusion. Cela signifie, d’une part, garantir la plus grande participation possible des groupes minoritaires aux institutions communautaires et aux fonctions de l’État ; et d’autre part, faire en sorte que tous les Centrafricains – quels que soient leurs origines, leurs ethnies ou leur religion – aient le sentiment de faire partie d’un projet commun concernant la reconstruction du pays.

Frontière entre la République centrafricaine et le Cameroun à Garoua Boulai, 2017. Crédit photo : Enrica Picco

Pour garantir une réintégration réussie, les rapatriés musulmans devraient donc pouvoir compter sur une protection efficace contre le harcèlement, et les abus. Les autorités centrales pourraient diffuser des messages forts et globaux sur l’inclusion à la population. Les autorités locales qui refusent de restituer des maisons, et des biens aux rapatriés appartenant aux groupes minoritaires, ou celles qui les intimident pourraient être sanctionnées ou révoquées; tandis que les organisations internationales pourraient conditionner leur aide financière aux progrès qui seront démontrés dans le retour des minorités. Enfin, leur représentation dans les institutions locales, serait un indicateur fondamental de la réussite de leur réinsertion.

Les rapatriés que j’ai rencontrés au cours de mon voyage ont exprimé leur frustration, devant le peu de progrès réalisés depuis les élections générales d’il y a deux ans. Ils constatent un manque général de volonté politique sincère parmi les dirigeants nationaux, pour promouvoir la paix, et s’engager dans une politique d’inclusion. Toute politique responsable de retours en RCA devrait sérieusement envisager cette tendance. Dans un tel cas, il conviendrait de s’interroger sur l’opportunité du rapatriement en tant que solution privilégiée pour les réfugiés musulmans centrafricains, car cela pourrait exposer les rapatriés à des souffrances physiques et psychologiques supplémentaires. Des solutions alternatives, telles que la réintégration socio-économique dans le pays d’asile ou la réinstallation, devraient donc être considérées comme préférables afin de donner aux réfugiés la chance d’un avenir meilleur.

Pour en savoir plus sur la Politique de retour et les trajectoires des projets de recherche sur les Déplacements qui sont financés par l’ESRC (Conseil de Recherche Économique et sociale) et l’AHRC (Conseil de recherche en Art et Sciences Sociales), rendez-vous au Centre Firoz Lalji pour l’Afrique.

Photo: Brice Blondel for HDPTCAR 

About the author

Enrica Picco

Enrica Picco (@enripicco) est une avocate internationale et chercheure indépendante dans la région de l'Afrique centrale. Elle a plus de dix années d'expérience dans le secteur humanitaire acquise en tant que conférencière et chercheure.

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