Près de vingt ans après la décennie de rapatriement librement consenti, Jolien Tegenbos et Koen Vlassenroot explorent comment la compréhension académique du processus de retour a évolué et comment elle a principalement été influencé par les priorités politiques.
Cet article fait partie de notre collection d’articles #LSEReturn, explorant les thèmes du déplacement et du retour des populations.
Chaque minute, 20 civils sont déplacés dans le monde. La solution durable la plus populaire, et la plus encouragée au niveau international pour les personnes déplacées, est le rapatriement ou l’aide au « retour chez soi ».
Compte tenu de l’ampleur des efforts passés et présents relatifs au rapatriement, il est ironique de constater que nous en savons encore très peu sur ce que « rentrer chez soi » signifie pour les personnes qui ont été déplacées. Le même constat s’effectue pour les gouvernements et les organisations impliqués dans la facilitation de ce processus. Les politiques prennent beaucoup trop pour acquis le processus de retour et méconnaissent, ou simplement ignorent, les différents impacts, défis et contraintes liés à ce processus.
Cela est particulièrement inquiétant dans la mesure ou le « retour chez soi » de ces réfugiées, se fait dans des zones touchées par des conflits ou confrontées à des niveaux élevés de violence post-conflictuelle. Ceci fait du retour un processus difficile, complexe et de long terme. Parallèlement, cela insiste sur la nécessité de mettre en relation étroite les cycles de violence, de déplacement et de retour des réfugiés dans l’genda de recherche. En réalité, toutefois, cet agenda de recherche a tendance à être guidé par des priorités politiques directes plutôt que par une volonté d’informer, réduisant ainsi considérablement notre portée et notre compréhension des processus de retour et leurs effets.
C’est aussi la conclusion d’un examen détaillé de la littérature existante sur le retour des personnes, réalisé dans le cadre du projet de recherche sur la Politique du Retour. L’objectif était d’expliquer comment les notions de retour ont évolué depuis les années 90, également qualifiées de « décennie du rapatriement librement consenti ». L’examen montre que les débats académiques autour du retour des populations ont été largement inspirés par la façon dans laquelle l’UNHCR, et par extension la communauté internationale, a commencé à définir le retour des populations en termes de consolidation de la paix et de relance économique. La principale orientation de la politique est également passée de la réinstallation des civils, à leur rapatriement librement consenti en tant que solution durable, en introduisant une extension du mandat de l’UNHCR aux opérations de rapatriement et de réinsertion.
Ces opérations ont néanmoins rapatrié un nombre croissant de personnes déplacées, dans des zones qui sont toujours touchées par des conflits. Cela a été une des préoccupations majeures de la communauté internationale, et a contraint les responsables politiques à rechercher des stratégies, qui atténueraient l’impact du processus de retour sur les conditions locales, « dans le pays d’origine. » Cela a finalement conduit à une redéfinition de la « justification d’assistance internationale aux personnes déplacées », qui ne se limitait plus seulement à l’aide humanitaire, mais comprenait également des questions liées à la sécurité. Par conséquent, les processus de retour sont désormais également liés à de plus grandes ambitions de consolidation de la paix, de résolution des conflits, et de prévention de nouveaux cycles de conflits violents. En outre, l’assistance au retour des réfugiés est désormais liée au développement économique, lui-même considéré comme un facteur clé contribuant à la consolidation de la paix.
Fresque murale décrivant les cycles de retour des réfugiés
L’analyse de la littérature montre que ces changements de préoccupations et de priorités politiques ont également orienté les agendas de recherche, un constat qui a conduit à un nombre croissant d’études sur « l’après-vie » des réfugiés une fois rentrés chez eux. Cette littérature peut être résumée en cinq grands axes de recherche. Un premier volet met l’accent sur les dimensions socio-économiques du retour, et affirme qu’un rapatriement réussi et durable devrait inclure la réinsertion induite par le développement économique. Une deuxième partie de la littérature examine les liens entre les cycles de violence, de déplacement et de retour et est étroitement liée aux priorités politiques de résolution et de prévention des conflits. Il est intéressant de constater qu’environ 20% des études observées sur le retour des civils ne se concentrent que sur les efforts de démobilisation, de désarmement et de réintégration (DDR). En outre, la littérature sur les effets psychosociaux de la guerre sur les rapatriés a également fait l’objet d’une attention accrue, principalement en raison de son rôle important dans la consolidation de la paix, la réconciliation, et la reconstruction après un conflit. Un volet de recherche plus récent, s’insérant comme une rectification des approches socio-économiques et axées sur l’aide au retour de la population, analyse la manière dans laquelle les rapatriés renouent avec leur ancien statut politique. Il a été soutenu que ces dimensions politiques du déplacement, et du retour des populations devaient être mieux comprises afin de comprendre comment le « retour » pouvait apporter la paix, la sécurité et la légitimité démocratique. Un dernier volet de recherche, le plus dynamique, traite du concept du retour en lui-même. Fortement inspirée par les priorités politiques, cette partie de la littérature existante nous fournit un certain nombre de leçons essentielles : dans la plupart des cas, les réfugiés et les personnes déplacées ne retournent pas vivre dans un environnement économiquement prospère; ceux qui reviennent ne sont souvent pas bien accueillis par ceux qui sont restés; et le «retour au pays» pour les rapatriés ne signifie pas nécessairement la fin d’un processus politique, mais en entraîne de nouveaux.
En dépit de la diversité des sujets de la littérature actuelle, les cadres politiques de la stratégie de retour tendent donc à délimiter les domaines de recherche et les priorités en matière de déplacement des réfugiées, et à limiter l’accent mis sur la consolidation de la paix et le rétablissement économique. Bien que cela ne devrait pas être un sujet de préoccupation en soi, cette dominance des objectifs politiques, interventions et expériences dans les priorités de recherche, nous empêche d’avoir une meilleure compréhension de comment les civils rapatriés, les sociétés d’accueil et les organisations humanitaires vivent, pratiquent, et donnent un sens au retour. Nous savons peu de choses, par exemple, sur les expériences vécues par les rapatriés ; sur les liens entre les processus de retour et le contexte politique global ; sur les positions et les aspirations des personnes restées sur place, et des rapatriés qui ne sont pas hébergés par des agences internationales ; et sur la manière dans laquelle les histoires sur les déplacements et les réfugiés contribuent à influencer les sociétés faisant face à, ou sortant d’un conflit.
Alors, que retenons-nous de cette analyse de littérature pour suggérer de plus amples recherches ? Tout d’abord, les agendas de recherche sur le retour des civils doivent être redéfinis, et détachés des cadres politiques et des priorités politiques directes. Deuxièmement, l’approche de l’UNHCR en matière de réintégration, et sa position à la fois prudente et limitée à l’égard des questions politiques liées au rapatriement, ne doivent pas dissuader les chercheurs de s’éloigner des préoccupations humanitaires. Même si très éloignée des préoccupations et des agendas politiques définis au niveau international, ce n’est que lorsque la recherche se concentrera sur les réalités du « terrain » en matière de retour des réfugiés, que nous parviendrons à une meilleure compréhension de la complexité du retour.
Pour en savoir plus sur la Politique de Retour et les trajectoires des projets de recherche sur les Déplacements qui sont financés par l’ESRC (Conseil de Recherche Économique et Sociale) et l’AHRC (Conseil de recherche en Art et Sciences Sociales), rendez-vous au Centre Firoz Lalji pour l’Afrique.
Photo: MONUSCO/Sylvain Liechti