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Ann Laudati

Patrick Milabyo Kyamusugulwa

September 5th, 2021

L’impact de COVID-19 sur le secteur éducatif à l’Est de la République Démocratique du Congo

0 comments | 3 shares

Estimated reading time: 4 minutes

Ann Laudati

Patrick Milabyo Kyamusugulwa

September 5th, 2021

L’impact de COVID-19 sur le secteur éducatif à l’Est de la République Démocratique du Congo

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Patrick Milabyo Kyamusugulwa est Directeur Général de l’Institut Supérieur des Techniques Médicales de Bukavu où il dirige une institution de 4000 étudiants et 180 agents. Il nous fait part de ses réflexions à l’impact variable du virus sur le système éducatif et examine comment ces implications reflètent les préoccupations structurelles plus larges du pays.

Lisez la série « Histoires de pandémie de COVID-19 »

Début 2020, la maladie COVID-19 a été perçue comme une épidémie inquiétante pour les Chinois et les Européens seulement. Personne n’a cru qu’elle pouvait atteindre la République Démocratique du Congo (RDC), et encore moins la ville de Bukavu, située à la partie extrême Est du pays.

Lorsque le Président Félix Antoine Tshisekedi annonçait les premières mesures restrictives contre la COVID-19 en Avril 2020, beaucoup de gens ont refusé de croire que le virus avait atteint la RDC. Comme professionnel de santé, j’étais bien au courant de la propagation de la maladie à travers le globe, mais je restais un peu sceptique quant au respect des restrictions, étant donné le manque de croyance en la maladie par la population locale.

Pour les étudiants, la fermeture des universités et instituts supérieurs signifiait que leur instruction serait stoppée nette. Toutes les activités d’enseignement et administratives étaient arrêtées, les bus de transport du personnel ne circulerait plus ; et tout agent de plus de 60 ans devait rester en confinement à la maison. Au niveau institutionnel, le Ministre s’est exprimé en faveur d’un système d’éducation en ligne ; mais, dû à l’absence d’une connexion internet fiable et de l’équipement nécessaire à domicile pour les étudiants ainsi que pour le staff enseignant, une telle option s’est vite révélée impossible. Plusieurs étudiants ont ainsi décidé de quitter le campus et de retourner à domicile, pendant que l’internat était fermé sauf pour les étudiants dont les parents résidaient en dehors de la province.

Les représentants du personnel et moi-même ont décidé que le personnel administratif pouvait initialement observer un service minimum d’une demi-journée pendant que toutes les activités d’enseignement étaient en suspension. Deux semaines après, toutes les activités administratives devaient s’arrêter. Ceci mena à la perte immédiate pour tous les enseignants et le personnel administratif de leurs « revenus locaux », parce que sans étudiants, il n’y a plus de « recettes locales » ; ainsi, l’Institut Supérieur ne pouvait pas avoir des frais pour payer le personnel. En effet, En RDC, les frais payés par les étudiants permettent à l’institution de payer la prime locale au personnel et le fonctionnement de l’établissement ; ces paiements étant plus fiables que le salaire formel de l’Etat.Beaucoup de professeurs et de staff administratif ne sont pas rémunéré alors même qu’ils sont enregistrés au Ministère; cela peut prendre des mois, voire des années pour qu’un agent nouvellement engagé soit payé, étant donné que le ministère des Finances fonctionne dans la capitale Kinshasa, située plus de 1500 km à l’ouest de Bukavu. Ainsi, alors que la pandémie du COVID-19 continue de s’étendre, les agents n’étant pas sur la liste de la Fonction Publique n’ont rien reçu en l’absence des frais payés par les étudiants.

Pour contrer cette forme d’insécurité, nous avons pensé créer une caisse de solidarité pour assister les personnels restés jusque-là sans salaire et sans primes. L’idée était seulement acceptée en théorie, en pratique cependant rien n’a été fait à cause de l’insuffisance des montants pour ceux qui sont payés par l’Etat et à cause du manque de volonté d’assistance des autres. Dans d’autres universités et instituts supérieurs, le personnel est allé en grève contre la direction de leurs institutions à la suite du manque de paiement local. Dans une des universités de Bukavu par exemple, les agents réclamaient le paiement de leur prime pour trois mois.

Un de mes collègues, Cyril, un enseignant visiteur senior du Département d’Anesthésie basé dans la capitale Kinshasa arrivait à Bukavu juste à la veille des nouvelles restrictions prises au pays. La direction de l’Institut Supérieur faisait alors face au dilemme de décider soit de faire rentrer Cyril à Kinshasa ou bien de le garder à Bukavu en attendant la reprise des activités académiques. Une des difficultés rencontrées était que tous les vols reliant Kinshasa à d’autres parties du pays étaient suspendus. Pour atteindre la capitale Kinshasa, l’unique option était à travers le vol Goma-Kinshasa et seulement les vols des Nations Unies pouvaient opérer sous des conditions spéciales pendant que les vols des compagnies nationales telle que Congo Airways n’étaient pas permis. Nous avions convenu d’un arrangement pour faire en sorte que les étudiants de première année Anesthésie puissent suivre les cours en respectant scrupuleusement les mesures barrières contre le COVID-19.

Ce n’est qu’à la fin de son cours intensif de deux semaines et après trois mois d’attente pour un vol de retour en juin 2020,  que l’Institut Supérieur se trouvait en mesure de négocier un vol du Programme Alimentaire Mondial pour ramener mon collègue Cyril à Kinshasa. C’est un vol qui partait de Goma, une ville séparée de la ville de Bukavu par le lac Kivu, un autre niveau de difficulté. Dès lors que le Gouvernement exigeait pour tout voyageur par bateau de Bukavu-Goma et vice-versa d’avoir la permission du Gouverneur de province, nous étions en mesure d’en obtenir une pour Cyril. L’inquiétude est que ces difficultés auront des impacts à long terme sur l’Institut Supérieur et le système éducatif en général. Beaucoup craignent que des enseignants de haute qualité refusent de rentrer à Bukavu au cours des prochaines vagues de COVID-19.

Le virus a créé des incertitudes nouvelles dans la vie des gens et a augmenté les inégalités et la précarité de la population congolaise. Le manque d’infrastructure, d’investissement dans l’éducation, un lent processus de mécanisation du personnel éducatif et les exceptions continues des ONGs et Agences des Nations Unies dans la région montrent que les effets du COVID-19 représentent loin d’un moment comme cela est souvent dit. Ce que les gens de la région disent est que « nous sommes au Congo et nous sommes toujours pauvres ». En d’autres termes, les conditions ici n’étaient pas bonnes avant le COVID-19 ; elles ont été exacerbées pendant la pandémie et continueront de l’être une fois la crise passée.


Photo: University of Science of Kisangani, DRC. Ollivier Girard/CIFOR. Licensed under CC BY-NC-ND 2.0.

About the author

Ann Laudati

Ann Laudati

Ann Laudati is Instructor of Human-Environmental Geography at the University of California, Berkeley and Bayreuth Academy of Advanced African Studies Fellow.

Patrick Milabyo Kyamusugulwa

Patrick Milabyo Kyamusugulwa

Patrick Milabyo Kyamusugulwa is Director General of the Bukavu University Medical College, Democratic Republic of Congo, where he leads an institution of 4000 students and 180 staff.

Posted In: COVID-19 | Education | Translations

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