L’introduction du masque a changé la vie quotidienne dans l’est de la RDC et a pris plusieurs visages : de la répression étatique dans la ville de Goma à la peur de l’inconnu dans les zones rurales, il a généré à la fois de la peur et de l’humour dans la région.
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Le 12 août 2020, le port du masque fut imposé avec fracas à la population de Goma. Ce matin-là je prenais le taxi bus pour me rendre au bureau, mais une fois arrivé à la place TMK (du nom d’une agence de transport et de messagerie du Kivu) des agents de la police du Roulage nous ont arrêtés pour un contrôle systématique. La police interceptait les transports en commun, les voitures privées, et même les piétons qui passaient par là, sommant toute personne qui ne portait pas de cache-nez de descendre des véhicules et de les suivre.
Ceci faisait suite à la décision prise en Conseil des Ministres du Gouvernement provincial face à la montée en flèche des cas de COVID-19 dans la province du Nord Kivu. L’annonce a été faite sur les chaînes de radio locale par le ministre de l’intérieur Jean Bosco Sebishimbo, sur un ton menaçant:
« Demain, mercredi, nous allons faire un bouclage et ceux qui oseront sortir sans cache-nez, nous allons les arrêter et nous allons les amener au stade. Ils vont passer la journée sous le soleil, sur le sable brûlant du stade jusqu’au soir en cette période de saison sèche. Le gouvernement ne va tolérer aucun relâchement dans le respect des mesures barrières ».
C’est bien ce que j’ai pu constater de mes propres yeux ce matin-là. La ville entière avait été quadrillée et balayée pendant plusieurs heures par des jeeps de la police, qui embarquaient les réfractaires pour les emmener au stade Afia où ils étaient parqués au soleil toute la journée. Bon nombre des proches des personnes arrêtées se rendaient au stade pour leur apporter des masques et avaient trouvé leurs frères, sœurs, fils et filles assis à même le sol dans le stade, sous un soleil écrasant. Un regard de chagrin pouvait se lire sur leur visage, à distance, car un dispositif policier considérable les empêchait d’entrer en contact avec eux. Dans l’après-midi, les policiers refusaient tout trafic d’influence dans la libération des personnes arrêtées, une première dans l’histoire de notre province. Un sentiment de peur s’est alors répandu dans la ville, et mes enfants n’ont pas mis les pieds dehors. Ma femme n’est sortie que le soir pour aller timidement au marché avec un cache-nez. C’est seulement dans la soirée que certains des détenus ont été libérés moyennant une amende exorbitante, alors que ceux qui n’avaient pas les moyens ont passé la nuit dans le stade.
Les Masques comme pièces d’identité
Cette vague d’arrestations dramatiques, surnommée « pas de sortie sans cache-nez », a marqué les esprits. A partir de ce jour-là, les gens ont commencé à se promener avec leur cache-nez, certains les portaient toute la journée et d’autres les gardaient sur eux à tout moment en cas de contrôle. Le cache-nez est devenu une sorte de pièce d’identité dans la ville, qu’il fallait avoir sur soi pour toute sortie, plutôt par peur d’être arrêté que par précaution sanitaire. Comme le prix des masques en pharmacie a quintuplé, les ateliers locaux de couture ont commencé à produire des caches nez à partir d’étoffes de pagne pour permettre aux plus vulnérables de s’en procurer à 500 Francs Congolais.
J’ai dû passer commande pour tous les membres de mon ménage afin d’éviter de payer les amendes onéreuses, ce qui n’a pas été facile étant donné qu’à l’époque nous n’avions aucun revenu. En effet l’arrivée du COVID-19 a provoqué une crise profonde pour la majorité des secteurs d’activités à l’est de la RDC, y compris pour nous les chercheurs travaillant sur des projets internationaux, qui avons vu nos contrats suspendus, nos bureaux fermés et notre activité mise à l’arrêt sur ordre soudain des bailleurs de fonds. S’ajoutant à la frustration d’une population déjà soumise à des contrôles arbitraires et répétés des forces de l’ordre, le masque s’est transformé en commerce pour celles-ci.
Les visages différents du masque
Dans le contexte sécuritaire fragile de la ville, l’obligation du port du masque a ouvert la porte à de nombreuses tracasseries envers la population. Un nouveau système de chasse aux personnes sans cache-nez par les policiers et militaires s’est développé dans toutes les avenues de la ville, et les cachots de la ville se sont remplis. Pour en sortir, il fallait payer 50$ aux policiers, bien plus que les 5000 Francs congolais que le gouvernement provincial avait établi comme amende forfaitaire.
La vie s’est adaptée à cette nouvelle mesure, souvent de façon étonnante. Pour le mariage de mon petit frère, qui a été reporté de six mois, toute l’assemblée portait des cache-nez, même les mariés qui se sont embrassés avec leurs masques ; là encore du jamais vu. « Ne vont-ils plus passer une nuit dans un même lit aujourd’hui? », se demandaient les participants, étonnés. Les gens disaient que toutes ces mesures étaient une manœuvre pour obtenir des financements auprès des bailleurs occidentaux. « C’est une maladie des hommes blancs », disaient-ils, « car nous avons des anticorps qui résistent à cette maladie, les autorités disent que nous avons déjà beaucoup de malades, mais peuvent-ils nous montrer un hôpital dans la ville où sont gardés ces malades » ?
J’ai découvert que le masque prenait un tout autre visage en dehors des grandes villes quand je me suis rendu à Baraka au Sud Kivu pour faire des entretiens dans les écoles, au moment où les projets de recherche ont repris. En tant que responsable des chercheurs déployés, j’étais tenu de faire respecter les règles de distanciation sociale ainsi que le port du masque parmi les chercheurs, conformément aux protocoles du projet et aux directives nationales. Un jour, quand nous sommes arrivés dans un petit centre au-delà de Baraka avec nos cache-nez, je me suis rendu compte que les gens avaient leur regard fixé sur nous. Des amis humanitaires étaient sur place, et nous ont demandé de retirer nos cache-nez. D’après eux, la population considérait que nous étions venus avec le virus pour le répandre dans le coin! Ils nous ont conseillé de ne pas nous promener avec des caches-nez dans la région afin d’être acceptés par la population. Dans les écoles, les élèves avaient tendance à s’enfuir en nous apercevant avec des masques, car l’on disait que ceux qui portent des masques sont porteurs du COVID. Il nous a fallu nous y adapter, souvent grâce à l’humour. Le masque a ainsi revêtu plusieurs visages à l’est de la RDC, celui de la répression policière et de la peur de l’inconnu, mais aussi celui du rire, qui, même dissimulé sous un cache-nez, ne disparaît jamais au Congo.
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