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Abass S. Kamara

Luisa Enria

August 26th, 2021

La réponse au COVID-19 en Sierra Leone: La surveillance en première ligne

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Estimated reading time: 4 minutes

Abass S. Kamara

Luisa Enria

August 26th, 2021

La réponse au COVID-19 en Sierra Leone: La surveillance en première ligne

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En tant qu’agent de surveillance dans le nord de la Sierra Leone, Abass Kamara réfléchit à l’expérience de la mise en place d’une réponse rapide à la pandémie de COVID-19 depuis la ligne de front. Dans sa conversation avec Luisa Enria, il met l’accent sur les appréhensions personnelles, les implications sociales et politiques de la pandémie sur son district frontalier et le défi profond de gagner la confiance des citoyens.

Lisez la série « Histoires de pandémie de COVID-19 »

En mars 2020, de nombreux pays à travers le monde ont été confinés, et les images tragiques d’une pandémie qui a englouti des pays comme l’Italie et le Royaume-Uni ont circulé. Abass, qui est agent de surveillance épidémiologique au sein de l’équipe de gestion sanitaire du district de Kambia (DHMT), dans le nord de la Sierra Leone, a suivi les nouvelles avec inquiétude. Lui et ses collègues savaient ce que c’est de faire face à une épidémie – ils étaient en première ligne pour répondre à l’épidémie d’Ebola en 2014-16. Pendant cette période, Abass avait suivi une formation d’agent de surveillance et faisait partie des jeunes qui parcouraient le district pour identifier et isoler les cas de maladie. Ces souvenirs ont accentué ses inquiétudes, et Abass s’est demandé à quoi ressemblerait la pandémie si elle arrivait en Sierra Leone, et ce qu’ils pourraient faire pour en atténuer les effets.

Nous avons échangé des messages et des appels téléphoniques, où Abass m’a fait part de ses préoccupations. ‘Nous sommes dans une situation critique’, a-t-il écrit lorsqu’il a entendu parler d’une personne qui avait fui la quarantaine au Liberia et était réapparue à la frontière orientale de la Sierra Leone. Une réponse du district a rapidement été mise en place au cours des dernières semaines de mars : les mécanismes d’infrastructure mis en place à la suite d’Ebola ont été activés, des plans stratégiques ont été rédigés et des formations ont été organisées pour s’assurer que les travailleurs de la santé sachent comment identifier les cas potentiels. Des dispositions ont été prises pour mettre en place des centres de traitement et de maisons de quarantaine pour isoler les patients. Puis, l’inévitable s’est produit: le premier cas a été identifié le 31 mars chez un voyageur mis en quarantaine à Freetown, suivi par d’autres cas dans tout le pays. Le district de Kambia, à la frontière avec la Guinée, a été l’un des derniers à enregistrer un cas, le 24 mai, après la mise en quarantaine 34 personnes associées à un cas identifié à Freetown.

Au cours des mois suivants, les cas de COVID-19 ont augmenté et diminué mais n’ont pas atteint les chiffres catastrophiques initialement prévus. Alors, quel type de crise était la pandémie? Les discussions et interactions quotidiennes à Kambia ont clairement montré qu’il ne s’agissait pas d’une crise à visage unique. Non seulement parce que les gens ont vécu la pandémie de manière très différente, mais aussi parce que les interprétations de l’urgence sanitaire et de ses effets matériels ont mis en lumière des contestations et lignes de faille héritées de crises sociétales plus anciennes. Dans le journal qu’il a rédigé à l’automne et à l’hiver 2020, Abass a dressé la liste des préoccupations qu’il a entendues auprès des habitants du district alors qu’il se déplaçait pour ses enquêtes: ‘Le Corona ne touche que les Blancs ; il n’existe pas au Sierra Leone ; le Corona n’est pas grave car les gens sont admis sans symptômes.’ Parallèlement à la question de savoir si la pandémie était réellement ou non une crise, les rumeurs les plus importantes étaient centrées sur l’hypothèse selon laquelle ceux qui travaillent en première ligne de la réponse, les officiels de santé publique comme Abass, gonflaient les chiffres, voire inventaient complètement la maladie pour en tirer profit: ‘Les agents de santé veulent voir davantage de cas positifs pour pouvoir gagner de l’argent’.

Dans ses réflexions, La COVID-19 a offert un lexique spécifique pour désigner des préoccupations anciennes sur la façon dont les puissants profitaient de la souffrance des simples citoyens, préoccupations qui étaient déjà présentes dans l’épidémie précédente, notamment dans les accusations portées envers ceux qui ‘mangeaient l’argent d’Ebola’. Ces récits témoignent d’un manque de confiance envers le système de santé et les dirigeants, qui fait que les histoires d’intérêts égoïstes et de méfaits intentionnels trouvent une résonance particulière. Cette situation a ensuite été contrastée avec les expériences quotidiennes des Kambiens, l’impact social et économique des règles relatives à la COVID-19 étant considéré comme potentiellement plus grave que celui du virus lui-même. La fermeture de la frontière avec la Guinée a eu des répercussions négatives sur le commerce et un confinement inter-districts a empêché les gens de se déplacer pour travailler, ou de retirer de l’argent s’ils avaient une banque dans un autre district. De nombreuses personnes se sont plaintes du fait que les agents de sécurité extorquaient des amendes aux points de contrôle du port du masque, que beaucoup n’avaient pas les moyens d’acheter.

Abass était préoccupé par ce qu’il appelait le ‘déni’: il s’inquiétait de la façon dont la maladie pouvait se propager sans être détectée, mais aussi de la façon dont les craintes de la population que la COVID-19 soit une invention des puissants pouvaient affecter la santé dans le district de façon plus générale. Au cours des premiers mois de la pandémie, son journal fait état de retours réguliers lors de ses visites dans les unités de santé périphériques, où les agents de santé lui disaient que les gens évitaient les centres par peur de l’infection. Il a enregistré une augmentation du nombre de décès maternels, les femmes ayant choisi d’accoucher à domicile, et il craint que de nouvelles épidémies, comme la récente épidémie de polio, ne soient liées à la perte de confiance dans les vaccins et à l’hésitation à l’égard des vaccins contre la COVID-19. Il a également noté le malaise des travailleurs de la santé qui, se souvenant d’expériences passées, lui ont dit que si la COVID-19 atteignait leurs centres ou bien si elle s’aggravait, ils arrêteraient leurs activités.

Il était également préoccupé par la méfiance des citoyens à l’égard des agents de santé et de la réponse à la COVID-19, et ce que cela impliquait pour lui et ses collègues. Les premières enquêtes sur les cas se sont avérées difficiles, certaines familles ayant refusé l’entrée aux agents de santé publique. Comme pendant la période d’Ebola, les processus de gestion des décès pendant une épidémie ont été au centre des tensions entre les responsables de la santé publique et les familles touchées. Par exemple, un cas concernait un homme âgé qui a été identifié comme positif au COVID-19 post-mortem. La famille a organisé l’enterrement avant que le résultat positif du test ne soit avéré. Abass a été chargé de se rendre auprès de la famille avec une équipe d’enquêteurs pour parler d’une éventuelle liste de contacts à suivre. ‘Je me suis rendu à la maison du cas confirmé… quand nous avons salué, personne n’a répondu… un homme nous a dit : ‘Quiconque me dit que mon père est atteint de Corona, je le tuerai pour avoir déshonoré mon père’’, se souvient-il dans son journal.

Abass comprenait l’inquiétude suscitée par la stigmatisation sociale associée au fait qu’un parent soit déclaré mort du COVID-19. Il se souvient de l’époque d’Ebola, où des histoires circulaient sur des gens qui déterraient les cadavres de leurs proches, ‘parce qu’ils disaient que les sacs mortuaires dans lesquels ils étaient enterrés ne pouvaient pas les laisser aller au paradis’. Il savait que les menaces qu’il recevait étaient le signe d’un malaise et d’une colère plus profonds, d’une réaction à des décisions qui pouvaient sembler lointaines et disproportionnées, d’une méfiance aux racines très profondes. Pourtant, il était également conscient qu’il représentait ces décisionnaires, si bien qu’en rentrant du travail, il a décidé de ‘ne plus passer dans cette rue [où vit la famille du défunt] et d’emprunter une autre rue, qui est très éloignée de [sa] maison, pour protéger [sa] vie’. En fin de compte, la situation de cette famille a été résolue, comme dans la plupart des autres cas, en faisant intervenir l’armée et la police pour faire respecter la quarantaine. C’est ainsi que le cycle de la méfiance se perpétue.

Ces réflexions sur le premier stade de la pandémie de COVID-19 donnent à réfléchir, alors qu’Abass et ses collègues se préparent à affronter une nouvelle ‘vague’. En effet, les premières semaines de juin ont vu une forte augmentation des cas, qui semblent conduire à davantage d’infections symptomatiques et d’hospitalisations. Ils soulignent en particulier l’importance de ne pas concevoir la pandémie comme une crise strictement sanitaire, où les expériences sociales du COVID-19 impliquent de faire face à ses effets socio-économiques et à la crise plus longue et latente de la mefiance.


Photo: A Sierra Leonean medic at work in the doctors office at Connaught Hosptial Freetown. Credit: Simon Davis/DFID. Licensed under CC-BY-2.0.

About the author

Abass S. Kamara

Abass S. Kamara

Abass S. Kamara is District Surveillance Data Officer for the Sierra Leone Ministry of Health and Sanitation and Kambia District Health Management Team. He is also a Research Assistant for the Anthropology of Emergency Vaccine Deployment (AViD).

Luisa Enria

Luisa Enria

Luisa Enria is Assistant Professor at the London School of Hygiene & Tropical Medicine. She is the Sierra Leone case study lead for AViD and currently holds a UKRI Fellowship titled ‘Crisis of Confidence: The Politics of Evidence and (Mis)trust in Epidemic Preparedness’.

Posted In: COVID-19 | Health

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