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Célestin Mvutsebanka

January 17th, 2021

Le football au Burundi est un instrument de réconciliation et de légitimité politique

0 comments | 6 shares

Estimated reading time: 4 minutes

Célestin Mvutsebanka

January 17th, 2021

Le football au Burundi est un instrument de réconciliation et de légitimité politique

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A travers ce blog, Célestin Mvutsebanka aborde les liens importants entre la politique et le football au Burundi. Son analyse décrit comment le football a évolué progressivement d’un outil de cohésion sociale entre les sphères militaires, publiques et civiles, à un outil de légitimité politique déployé par les acteurs politiques pour leur propre propagande.

Ce blog fait partie de la série Idjwi qui résulte d’une retraite d’écriture sur l’île d’Idwji au lac Kivu, en RDC, au cours de laquelle des chercheurs régionaux se sont réunis pour présenter et affiner leurs recherches.

Au Burundi, le football est devenu un outil important pour la réconciliation, la cohésion sociale et la consolidation de la légitimité politique. Les institutions publiques ont commencé à mobiliser le football pour faciliter la mise en œuvre des réformes institutionnelles introduites par le processus de paix, telles que la démobilisation et la réintégration des anciens combattants, et pour améliorer les relations entre les sphères politique, civile et militaire. En m’appuyant sur les travaux de Désiré Manirakiza sur la sociologie du football, j’étudie comment les anciens combattants du parti au pouvoir, le Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-FDD), sont devenus de fervents partisans du football et continuent d’exploiter ce sport pour légitimer leur position.

De 1993 à 2008, le Burundi a connu une guerre civile opposant les ex-Forces armées burundaises (ex-FAB), alors dominées par les Tutsi, aux Partis et Mouvements Politiques Armés (PMPA), majoritairement Hutu. Suite à un accord de cessez-le-feu signé en 2003 entre les institutions burundaises et le mouvement politique CNDD-FDD alors armé, les combattants du CNDD-FDD ont rejoint les camps de cantonnement pour intégrer l’armée officielle ou être démobilisés. Dès décembre 2003, des tournois de football ont été organisés pour faciliter l’engagement entre les différentes composantes de la nouvelle armée, à savoir les ex-FAB et les ex-combattants du CNDD-FDD, transformant le football en un instrument de réconciliation et de cohésion sociale.

Ces expériences sportives ont été perçues comme une réussite et se sont étendues à tout le pays. Les efforts de réconciliation par le football étant encouragés par faciliter l’intégration entre réfugiés revenus d’exil et les habitants de divers villages. Depuis 2005, ce processus a été repris également par les élites du CNDD-FDD.

Un match de réconciliation entre les ex-Forces armées burundaises (ex-FAB) et les anciens combattants du CNDD-FDD en décembre 2003, dans un camp de cantonnement situé à Bubanza (ouest du Burundi).
Source : Comité national olympique du Burundi.

Dès son arrivée au pouvoir en 2005, l’ancien président Pierre Nkurunziza, un fervent amateur de football (décédé récemment en juin 2020), n’a cessé de promouvoir l’utilité du football à travers diverses initiatives. Il a créé une équipe de football amateur « Halleluya FC », et un an plus tard, il a créé une académie de football « Le Messager FC ». Par l’intermédiaire de son club, il a organisé un championnat de football pour favoriser la réconciliation et la socialisation entre les membres du gouvernement et la population civile. Les compétitions organisées par Nkurunziza ont contribué à consolider son pouvoir en rapprochant les élites politiques de la population. De même, un championnat de football interministériel a été réintroduit et perfectionné en 2006.

A football match in Burundi
Un match de réconciliation entre les Tutsi et les Hutu, en décembre 2003, à Bubanza.
Source : Comité national olympique du Burundi.

Dans la même dynamique que l’ancien président Nkurunziza, Révérien Ndikuriyo, ancien président du Sénat et président de la Fédération de Football du Burundi (F.F.B), a organisé plusieurs initiatives de matchs de réconciliation par le football. Parmi ses initiatives figurent la création du club « Aigle Noir » (« Aigle Noir » étant le symbole du parti au pouvoir) et la construction d’un stade de football dans la province de Makamba – sa propre province d’origine.

Dans la plupart des cas, ces rencontres de football qui visent à réconcilier et à construire la cohésion sociale, se terminent souvent par des discours de propagande. Ces initiatives peuvent être considérées comme une « politique de présence » ou de « légitimité de proximité », dans laquelle les élites politiques font des efforts importants pour rester proches de leur électorat. Pourtant, depuis 2005, ces deux dirigeants (Nkurunziza et Ndikuriyo) du parti CNDD-FDD sont accusés par leurs adversaires politiques d’instrumentaliser le football à des fins électorales.

Malgré ces accusations, Révérien Ndikuriyo a continué à créer des associations de football dans toutes les communes et provinces du pays comme il l’avait promis lors de sa campagne électorale. Ses initiatives ont contribué à mobiliser la jeunesse burundaise, qui représente une part importante de la population votante. Plus tard, sous l’influence de Nkurunziza, Révérien a lancé le projet « Sur chaque colline du pays, une équipe de football.» Avec instrumentalisation croissante de ce sport, en 2006, les deux dirigeants ont introduit un championnat de football senior dans lequel les équipes s’affrontent pour une coupe en l’honneur du Président. La coupe est suivie par un large public et est devenue l’occasion d’une démonstration de pouvoir de la part du régime, illustrant une collusion progressive entre la politique et le football.

Cette instrumentalisation politique du football par les élites de l’Etat a été largement imitée. Plusieurs personnalités politiques du CNDD-FDD ont commencé à prendre en charge les équipes de football de leurs villes respectives. Pour ces dirigeants politiques, le rassemblement des populations locales dans des espaces communs visait à maximiser leurs succès politiques. Par exemple, parmi beaucoup d’autres, l’actuel Ombudsman du pays Edouard Nduwimana, l’ancien deuxième vice-président de la République Joseph Butore, et l’ancien président de l’Assemblée nationale Pascal Nyabenda sont tous présidents des clubs de football de leur village natal. La politisation du football à travers le pays est motivée par sa contribution effective aux rassemblements électoraux, évaluant la fidélité de la population au régime et démontrant le leadership et la force du parti CNDD-FDD.

Les liens entre le football et la politique sont également visibles dans l’organisation des rencontres de football après les Travaux de Développement Communautaire (TDC) qui se déroulent au Burundi tous les week-ends. Pour Désiré Manirakiza, les TDC font partie intégrante de la « politique de proximité » et de la « politique du corps » du pays : ils englobent les pratiques dans lesquelles les élites politiques effectuent des travaux manuels pour la construction d’équipements publics, y compris, mais pas uniquement, des installations sportives  à des fins politiques. Mes recherches attirent d’avantage l’attention sur la manière dont les jeunes affiliés au parti CNDD-FDD profitent des TDC et des matchs de football pour exercer une forme de “contrôle social” en identifiant ceux qui ne participent pas à ces activités, en traitant ces personnes comme des opposants au régime.

Le « football réconciliateur » au Burundi a toujours eu pour but de marquer des points politiques tout en favorisant la cohésion sociale entre les communautés et les anciens combattants. Aujourd’hui, les anciens combattants du CNDD-FDD sont devenus de fervents ambassadeurs du football aux motivations politiques dont leurs caractères de changement restent un souhait.

Pour en savoir plus, consultez les articles «  The Burundian football under the sway of the political authority: towards a systemization of its development and instrumentalization as a reconciliation strategy » publié par Célestin Mvutsebanka, et « Quand le Football Burundais devient un Enjeu Identitaire et Politique » publié par Célestin Mvutsebanka et Salvator Nahimana.


Read more in the paper, The Burundian football under the sway of the political authority: towards a systemization of its development and instrumentalization as a reconciliation strategy’ by Célestin Mvutsebanka, and Quand le Football Burundais devient un Enjeu Identitaire et Politique’ by Célestin Mvutsebanka and Salvator Nahimana.

The Idwji Writing Retreat was jointly funded by The Open University’s Strategic Research Area in International Development and Inclusive Innovation and the Centre for Public Authority and International Development (CPAID), LSE.

Photo by Jannik Skorna on Unsplash.

About the author

Célestin Mvutsebanka

Célestin Mvutsebanka is a PhD student at the Doctoral School of the University of Burundi. He is attached to the University Research Laboratory in Physical and Sport Activities for Social Development and Health (LURADS). He is writing a thesis entitled ‘Burundian football: an instrument for strengthening collective identity and means of reconciliation between ethnic groups.’

Posted In: Translations

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