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Samuel Keith Muhindo

October 7th, 2020

Les mototaxis de Goma : héros ou agresseurs ?

0 comments | 4 shares

Estimated reading time: 4 minutes

Samuel Keith Muhindo

October 7th, 2020

Les mototaxis de Goma : héros ou agresseurs ?

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Les mototaxis sont un moyen de transport régulier et souvent indispensable pour les citoyens de la République Démocratique du Congo. Samuel Muhindo, analyse le rôle joué par les conducteurs de mototaxis, dans la sécurité des citoyens de la ville de Goma. Il propose de nouvelles réglementations pour améliorer la sécurité publique et aborde les conséquences du couvre-feu instauré suite à la récente crise sanitaire (COVID-19).

Ce blog fait partie du projet Idjwi, un projet qui résulte d’une retraite d’écriture organisée sur l’île d’Idjwi située au lac Kivu, en RDC. Au cours de cette retraite en novembre 2019, des chercheurs se sont réunis pour redéfinir et présenter leurs sujets de recherches.

À Goma, capitale de la province du Nord-Kivu située à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), les citoyens utilisent régulièrement les mototaxis pour se déplacer dans la ville. Ces moyens de transport sont accessibles de jour comme de nuit. Cette disponibilité des mototaxis est importante pour les usagers et constitue une opportunité pour les conducteurs de motos, ou motards comme on les appelle ici à Goma, d’assurer la sécurité des citoyens.

Bien que ces conducteurs soient essentiels au bon fonctionnement des mototaxis en tant que moyen de transport urbain, ceux-ci assument également un autre rôle dans la sécurité de leurs passagers. Ainsi, sur ce plan sécuritaire, ils sont à la fois perçus comme des héros, mais aussi comme des agresseurs, responsables des infractions commises dans la région.

La ville de Goma a été plongée dans une insécurité, déjà présente lors de la première guerre congolaise en 1996. Jusqu’à ce jour, les chauffeurs de mototaxis travaillent principalement de manière informelle : sans attestation de sécurité routière et sans immatriculation. En outre, toute personne qui possède ou peut avoir accès à une moto, peut devenir chauffeur de mototaxis. Le profil du conducteur et le motif du déplacement déterminent si le trajet est sécurisé ou au contraire dangereux pour les passagers. En effet, un conducteur peut parfois sauver une vie ou prendre une autre voire dépouiller un passager de ses biens.

Les mototaxis héros et agresseurs

Dans certains cas, les conducteurs sont perçus par les populations locales comme des héros capables de protéger les passagers en cas de danger. Par exemple, un motard peut prendre un client et le conduire d’un point à un autre, sans qu’aucun incident ne se produise. Ces conducteurs peuvent également assister un passager en cas de danger en criant ou en klaxonnant pour alerter le voisinage en cas d’accidents ou de vols. Dans ces cas-là, le malfaiteur prendra la fuite ; celui-ci souvent poursuivi et arrêté par d’autres chauffeurs de mototaxis.

Cependant, si nos motards de Goma peuvent être nos héros, certains peuvent aussi être nos agresseurs.

À Goma, certains conducteurs peuvent être des agresseurs cachés. Ils peuvent prendre un passager sur leur moto et, au lieu de le livrer en toute sécurité à l’adresse indiquée, ils le conduisent vers un endroit différent, un lieu propice pour une embuscade ou une agression. Ces motards sont généralement armés et vont même jusqu’à physiquement blesser les passagers dans le but de dérober des objets de valeur : argent, téléphones, bijoux. Depuis 2012, ces risques ont été exacerbés par l’émergence du gang « FENDER », gang composé d’enfants, d’anciens combattants mécontents, de vétérans et de « bandits » reconnus pour dérober dans la région. Ce gang demeure malgré les mesures prises par le gouvernement et la société civile pour faire face à la criminalité croissante à Goma.

Améliorer la sécurité publique

Le maire de la ville, Naasson Kubuya Ndoole, a lancé un programme d’identification des mototaxis, en collaboration avec le président de la COTAM (Coordination des Taxis motos) qui est l’association des conducteurs de mototaxis de Goma. La COTAM est aussi chargée de superviser les chauffeurs de mototaxis à Goma. Elle a réussi à enregistrer la plupart des chauffeurs et à fournir des numéros d’identification uniques. Elle a également donné aux chauffeurs des gilets jaunes ; pour que les chauffeurs identifiés puissent être différenciés des chauffeurs non identifiés. Par ailleurs, les passagers ont essayé de garantir leur propre sécurité en évitant de prendre des mototaxis sans gilet jaune la nuit. Circuler avec des chauffeurs immatriculés et membres de la COTAM, signifie qu’en cas d’accident, le numéro d’immatriculation du conducteur peut être communiqué à l’association. Celle-ci tient le chauffeur responsable de la sécurité du client.

À Goma, un chauffeur de mototaxis porte un gilet de signalisation afin de faciliter l’identification, comme indiquée par la réglementation. Crédit photo : Samuel Muhindo

Certains passagers évitent de donner leur véritable adresse de résidence au conducteur, préférant plutôt indiquer une adresse proche, fréquentée et bien éclairée. D’autres usagers utilisent le système du bouche-à-oreille, appelant les conducteurs dont la sécurité a été prouvée lors de précédents voyages avec des personnes qu’ils connaissent et en qui ils ont confiance. Il s’agit d’une forme de vérification différente – cette fois-ci non pas de la part de la COTAM, mais plutôt de la part des usagers eux-mêmes.

Malgré ces efforts, ces mesures de sécurité publique ont été inefficaces ici à Goma. Certains conducteurs finissent par vendre leurs gilets jaunes, provoquant ainsi une certaine confusion et permettant aux conducteurs informels de circuler librement.

Une pression accrue avec le COVID-19

La situation sanitaire actuelle du COVID-19 et les nouvelles mesures de sécurité mises en place à Goma depuis le 29 avril ont également restreint les activités nocturnes. En effet, les bars, les boîtes de nuit et les restaurants ont reçu l’ordre de fermer le soir et un couvre-feu a été mis en place. Ces restrictions ont fait naître un sentiment d’aliénation et de mécontentement chez les motards. Pour cause, les tarifs de nuit étaient généralement plus élevés que ceux du jour. Maintenant les sociétés de transport public, qui dépendaient de ces revenus pour survivre, se sont retrouvées au chômage, endettées et désespérées.

Ces facteurs réunis ont mis en évidence le double visage des motards de Goma. D’une part, ces motards sont soumis à une pression croissante ; celle de protéger leurs clients de la criminalité parfois perpétrée par leurs collègues. D’autre part, ces motards sont davantage incités à rejoindre des organisations criminelles du fait des conditions de vie de plus en plus précaires ; une conséquence fortuite des mesures prises par le gouvernement en réaction au COVID-19.

Il est devenu impératif de proposer des mesures alternatives pour assurer la sécurité des habitants de Goma. Une solution possible serait de décentraliser les courses des chauffeurs : chaque motard pourrait travailler dans un quartier précis notamment dans leur quartier de résidence respectif. En travaillant chacun dans son quartier, l’anonymat qui aurait pu inciter les conducteurs à commettre des délits serait éliminé ; le conducteur craindrait d’être identifié, dénoncé ou soumis à la justice populaire.

Ainsi, les populations seraient capables de distinguer le chauffeur sûr, du chauffeur dangereux : distinguer le héros de l’agresseur.


The Idwji Writing Retreat was jointly funded by The Open University’s Strategic Research Area in International Development and Inclusive Innovation and the Centre for Public Authority and International Development (CPAID), LSE.

Photo prise par l’institut artistique, Random Institute, via site Unplash.

About the author

Samuel Keith Muhindo

Samuel Keith Muhindo is an independent researcher and collaborator at the Centre for Public Authority and International Development at LSE. In addition to access to social services in the DRC, his research focus includes the dynamics of higher education institutions, micro-economies of rural areas and the politics of humanitarian actors in urban metropolises.

Posted In: Idjwi Series | Public Authority | Society | Translations

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