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Ange Kasongo

Stéphanie Perazzone

September 2nd, 2021

Vivre la pandémie: Entre effroi et anxiété, un petit coin d’espoir

0 comments

Estimated reading time: 5 minutes

Ange Kasongo

Stéphanie Perazzone

September 2nd, 2021

Vivre la pandémie: Entre effroi et anxiété, un petit coin d’espoir

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Ange est journaliste en République démocratique du Congo (RDC), et auteure de deux ouvrages publiés aux Éditions du Net. Habituée de la vie tumultueuse de Kinshasa, sa capitale tentaculaire, et des sujets complexes et malaisés qu’elle documente et analyse sans répit, Ange nous livre le récit de son expérience de la pandémie du COVID-19 depuis l’apparition du virus en RDC.

Lisez la série « Histoires de pandémie de COVID-19 »

« Tout a commencé au mois de mars 2020 », se remémore-t-elle dans son journal intime. Les autorités congolaises choisissent de mettre en quarantaine uniquement la commune résidentielle de la Gombe, l’une des 24 communes de la capitale congolaise, sièges de plusieurs institutions étatiques et lieu de vie privilégié des élites et des expatriés. Victimes du ‘système D’ – cette économie ‘de la débrouille’ si bien rodée à Kinshasa – des centaines de milliers de Kinois y convergeant tous les jours en quête d’un quelconque revenu, se voient soudainement privés de leur seul moyen de subsistance. « On peut supposer le manque à gagner », réfléchit Ange. Entre les mesures de semi-confinement incohérentes, les violences policières, les rumeurs grandissantes, la réémergence des fake news, et la suspicion généralisée, la riposte commence en ordre dispersé et dans la confusion. « La Gombe est à présent isolée, et bien que tant de gens se demandent pourquoi, aucune réponse ne semble apaiser les esprits ».

Et pourtant, « face à cette triste réalité qui a secoué les économies du monde, je devrais moins me plaindre » écrit-elle. « J’ai encore mon travail alors que beaucoup ont perdu leurs sources de revenu ». La situation est telle qu’au mois de juin un internaute qu’elle ne connaît pas, la contactait sur son compte Twitter pour solliciter une aide financière – « depuis trois mois nous n’avons plus aucuns revenus » lui dit-elle. Au 15 octobre 2020, rien n’a changé dans la riposte au coronavirus à Kinshasa. La capitale congolaise baigne dans le déni de la pandémie qui, à ce stade, aura déjà causé la mort de plus d’un million de personnes dans le monde. Alors que croît la précarité, la peur suppure. Elle s’installe partout: dans les marchés, les cours d’école, les conversations entre amis, dans les journaux locaux, les relations familiales et jusque dans l’intimité des couples. Et de nombreuses questions taraudent Ange: comment tenir la route? Psychologiquement, sentimentalement, sur le plan de la santé? Comment se nourrir? Comment nourrir notre esprit? Comment communique-t- on pendant cette période? Comment s’aime-t-on? Comment arrive-t-on à dépasser la souffrance? Comment arrive-t-on à gérer notre peur? La peur de perdre un parent ou un proche?

Les rumeurs et les fake news viennent gonfler les appréhensions d’Ange et ronger ses longues journées de travail. « Quel est son rôle de journaliste et chercheuse dans ce nouveau monde », se demande-t-elle alors. C’est alors qu’elle se rappelle son cours de sociologie du journalisme : les médias doivent éclairer l’opinion publique et surveiller les gouvernants. Elle sait qu’elle doit tenter de sensibiliser ses lecteurs par les choix de ses sujets et surtout débusquer les informations visant à relayer ces fake news. « Il y en a tant pendant cette période! » La rumeur selon laquelle le coronavirus ne touche que l’élite congolaise et les expatriés enfle davantage. Comment écarter l’hypothèse selon laquelle la pandémie ne concerne que l’élite? Tous les ingrédients semblent réunis pour semer le doute et la peur au sein de la population kinoise. « Seuls ceux qui ont les moyens de voyager en Europe sont susceptibles d’être contaminés », estiment de nombreux habitants. En avril 2020, des photos et vidéos postées sur Facebook affirmaient qu’un bus transportant des Européens avec des vaccins contre le nouveau coronavirus avait été repoussé par des motards près de l’aéroport de Kinshasa. On pouvait y entendre des chauffeurs de moto-taxis dénoncer l’arrivée des Européens dans la capitale. Ils étaient convaincus qu’à bord de ce bus, il y avait des vaccins destinés à des essais cliniques en Afrique. La police est intervenue pour calmer les tensions. « Ce qui me plonge dans la peur, à la fois pour le pays, ses habitants qui sont en majorité pauvres, et surtout pour mes proches », écrit Ange, inquiète.

Sa tourmente se concrétise encore, lorsque le 21 octobre, elle pense être ‘covid-ée’. Accablée par un état grippal qui la cloue au lit depuis deux jours, son supérieur l’appelle : ‘Alors, tu vas passer le test’ ? lui demande-t-il. Non ! a-t-elle répondu sans réfléchir. Craignant d’être déclarée ‘positive au covid-19’, elle n’ose pas se rendre dans les infrastructures de santé pour se faire tester. ‘La prise en charge des malades du COVID en RDC n’est pas rassurante ; aller à l’hôpital, c’est s’exposer davantage à la maladie et à la négligence du traitement du personnel de santé’, résume-t-elle dans son journal intime. Est-ce la peur ? Peur pour plusieurs raisons : ses proches, son état de santé, peur de perdre son travail dans un pays où il n’existe aucune aide sociale, peur de mourir… Si vite. La peur de l’autre aussi. Au-delà des embrassades qui deviennent quasiment un ‘refus’, un manque, une quête, pendant cette période. ‘Le COVID arrive à nous imposer l’absence de câlins, l’absence de l’autre, encore plus pour ceux qui entretiennent des relations à distance’, se plaint Ange car selon elle, ‘ la fermeture des frontières est une vraie gifle pour les amoureux à présent éparpillés à travers le monde’. Le sentiment de peur est devenu permanent, mais est-il en train d’émerger différemment durant cette pandémie ?

Ange se questionne alors sur les causes et manifestations complexes de la peur, et recherche des articles sur « la théorie de la gestion de la peur », résultats des travaux en psychologie sociale de l’anthropologue américain Ernest Becker. Selon sa théorie, on apprend que l’homme, pour faire face à la peur de la mort, a su développer des mécanismes de défense. Ces derniers visent d’une part à valoriser sa culture d’appartenance qui permet à chacun de donner du sens à la vie, et d’autre part à renforcer l’estime de soi c’est-à-dire la conviction qu’en tant qu’individu nous contribuons à construire ce sens. Cette pandémie lui donnera-t-elle raison ? En attendant, Ange, elle, s’en remet à sa foi. Croire. Espérer. Nous pouvons continuer de rêver à des jours meilleurs en cette période sombre. « Croire qu’aucun de mes proches ne va y laisser sa vie. Espérer que mon monde ne sera pas autant perturbé, si cela n’a pas déjà été fait. Finalement, sans foi en un avenir possible, on ne peut tenir la route ».


Photo: University of Kinshasa. Bureau de la Première Dame OU. Credit: Adriana Borra/UN Women. Licensed under CC BY-NC-ND 2.0.

About the author

Ange Kasongo

Ange Kasongo

Ange is a journalist from and living in Kinshasa, the Democratic Republic of Congo. She is the author of two books recently published with the Editions du Net and specialises on covering societal and political issues, as well as debunking fake news circulating in the Congo.

Stephanie Perazzone

Stéphanie Perazzone

Stéphanie Perazzone is a postdoctoral researcher at the Department of Conflict and Development Studies and works with the Conflict Research Group at Ghent University. She holds a PhD in International Relations and Political Science. Her research agenda currently focuses on state formation theories, urban governance, violence and policy in parts of the DRC.

Posted In: COVID-19 | Society | Translations

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